VIGNY Stéphane
STEPHANE VIGNY ET LES ÉQUILIBRES
Perceuse à percussion en balançoire entre deux colonnes le moellon, cerceau avec "tongs " sur plancher : Stéphane Vigny aime les choses qui vont par deux souvent dans un humour qui tient au fait que la "désidération" - pour reprendre le terme de Pascal Quignard - prend chez l'artiste de multiples biais. Tout joue aussi dans une sorte de nudité minimaliste qui s'exhibe symboliquement mais se cache autant par un effet métaphoriquement explicite. Il ne s'agit pas de créer un paradis céleste de l'art pour permettre de rentrer dans les mirages du paradis terrestre du fantasme. C'est le contraire même. L'œuvre réussit dans chaque pièce un exploit : donner à voir plus que ce qu'elle montre à travers les objets mis en exergue pour en retenir la pure plasticité.
Le désir vient d'abord du regard. Et la dénudation tient à une autre forme particulière de nudité. Elle permet de refonder une relation particulière à l'art. Le geste de Vigny ne répond plus à celui du voyeur qui voudrait s'émoustiller en faisant corps avec ce qui n'en a pas. Ici, du plaisir de la pensée à celui de l'art un jeu de bande induit un plaisir plus sarcastique et bouffon. L'artiste instaure un pacte qui suppose non l'épuisement les images mais l'effacement de leur agencement premier et de leur raison d'être en une feinte de connivence avec l'immédiat.
Lorsque l'art propose de telles mises en scène se pose la question de l'interdit. Ou plutôt de ce qui est interdit d'interdit puisque tout semble possible même dans l'insignifiant. De la sorte, nous sommes enfin, plus majeurs que puérils, au coeur de cette œuvre qui rameute une étrange “remotio”. Il existe là l'abîme de la présence par la perfection des mises en scènes dans des raccords et des rapprochements inattendus loin des effets de miroirs. Les constructions, les installations de Vigny exhaussent l'immuable ordre des choses. Tout un chemin mental et plastique reste à parcourir. Et si le monde est une grande illusion, l'œuvre lui donne un aspect encore plus mystérieux. Elle ne se contente donc pas de témoigner du réel. Ou si elle témoigne c'est afin que chacun de ses éléments prenne dans son aspect d'évidence métaphorique une force, une puissance qui défient le réel.
Cette force à travers les agencements proposés est le moyen par lequel l'artiste puis ceux qui contemplent ses œuvres se figurent de nouveaux principes qui animent selon une logique "absurde", de "folie" expérimentale et paradoxalement mûrement réfléchie. Malheur en effet à qui veut se frotter à l'art sans cultiver cette propension car l'ennemi est partout. C'est pourquoi afin de réaliser ses œuvres, Vigny s'enferme à double tour partant de quelques traits sur le papier pour élaborer les trajets de sa création selon une formule chère à monsieur de Maistre et son voyage autour de sa chambre. Et nous voilà embarqués avec lui à travers ces œuvres. Pas besoin de dire les écueils qui ponctuent ce périple. L'artiste les a placés pour nous retenir juste pour que nous perdions pied. L'œuvre est à l'image du monde qu'il évoque : un dédale périlleux mais qu'il fait prendre avec humour. Plus question de se laisser dissoudre dans un état larvaire de mélancolie. Vigny nous rappelle enfin que l'art n'est pas un objet mais une situation. Si possible précaire afin - au passage - de voir l'éternité se défaire de ses pesanteurs. L'artiste nous apprend à franchir des portes par lesquelles le vent s'engouffre car il sait que la vie est ailleurs : ici-même, ici-bas dans l'espace laissé vacant entre deux portes qui ne baillent que pour nous offrir l'injonction du réveil.
Jean-Paul Gavard-Perret, 2007
A l’occasion de l’exposition Pièces détachées
à la galerie l’antichambre 10 mai 22 juin 2007